Dans son discours auprès d’étudiants universitaires le
10 janvier 2012, Bachar el-Assad a parlé de conspiration contre la Syrie.
Utilisez un autre mot si ça vous chante, mais il est certain qu’il y en a une.
Les sous-fifres subalternes dans cette campagne qui vise à
destituer le gouvernement syrien sont des miliciens qui se font appeler
« armée syrienne libre » ainsi que divers gangs armés.
Ni les uns ni
les autres ne pourraient poursuivre leurs campagnes de violences sans une aide
extérieure. Sans soutien armé depuis l’extérieur, ils ne seront pas en mesure
de renverser le gouvernement. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est continuer
leurs tueries et provoquer le chaos dans l’espoir que le régime s’effondre.
Leurs sponsors sont : les USA, la Grande Bretagne, la France, l’Arabie
saoudite, le Qatar, les Frères Musulmans, le Conseil National Syrien, des
« activistes » syriens en exil, dont certains sont liés de près aux
ministères des Affaires Etrangères britanniques et étasuniens, ainsi que tous
les salafistes présents dans la région. La réforme n’est pas la question. Leurs
plans divergent sur bien des aspects, mais convergent sur un seul et même point :
leur détermination à détruire le gouvernement baathiste. Pour les USA, la
Grande Bretagne et la France – « l’Occident » -–, la destruction d’un
gouvernement et d’un parti politique qui leur a longtemps tenu tête est
l’enjeu. Pour l’Arabie saoudite, la question d’est d’affronter l’Iran et de
contenir le chiisme dans la région. Pour les Frères Musulmans, la question est
la revanche sur la répression de leur révolte de 1982 par Hafez al Assad, la
destruction d’un gouvernement laïque, et la mise en place d’un gouvernement
basé sur la sharia, gouvernement qu’ils entendent dominer. Tant pour les
salafistes que pour les Frères Musulmans, la question est également de détruire
les alaouites en tant que force sociopolitique en Syrie.
Pour les USA et l’Arabie saoudite, l’Iran et la Syrie, ainsi
que le Hezbollah, sont les composantes d’un même problème. L’Arabie voit en
l’Iran la tête du serpent et souhaitait qu’il soit attaqué lors des dernières
années de l’administration Bush. Mais une attaque directe, enlevant le voile
d’une guerre masquée déjà en cours, serait extrêmement dangereuse pour les
pays qui sont en train de la mener. C’est ce qui les retient d’aller de
l’avant, et non pas le fait que cette guerre serait catastrophique pour le
peuple iranien et la région. (Notez au passage qu’il est assez extraordinaire
que, bien que l’Iran vive depuis des années sous la menace constante d’une
pareille offensive, les médias occidentaux n’ont pas encore parlé des
conséquences possibles d’une attaque sur des sites nucléaires actifs.)
L’Iran serait sérieusement affaibli par une intervention
armée directe en Syrie (contrairement à une guerre sous couvert actuellement en
cours). Une telle intervention aurait des conséquences fort similaires à une
attaque directe sur l’Iran. En 2006, les deux pays ont signé un accord de
défense pour contrer les « menaces communes », et l’Iran verrait
toute offensive ouverte dirigée contre la Syrie comme un prélude à une attaque
sur lui-même.
La forme la plus probable d’intervention armée serait la déclaration
d’une « no-fly zone », ou d’un « cordon humanitaire » juste
au dessus de la frontière turco-syrienne. C’est ce qui s’est passé en Lybie, où
près de 50.000 personnes ont perdu la vie après que la France, la Grande
Bretagne, les USA et leurs alliés de moindre envergure, eussent décidé
d’attaquer au nom du maintien de la no-fly zone. La Russie et la Chine ont
indiqué qu’ils s’opposeraient à quelque manœuvre de la sorte au Conseil de
Sécurité des Nations unies. À la lumière de ces difficultés, la seconde
meilleure option est de déstabiliser la Syrie avec le même objectif final
qu’une attaque ouverte. Faire tomber le gouvernement syrien, rompre ses liens
stratégiques avec l’Iran et le Hezbollah, c’est là le but recherché par les USA
et ses alliés d’Occident et du Golfe. Plongée dans des turbulences internes si
fortes qu’elle ne sera plus en mesure de riposter, la Syrie est écartée des
calculs militaires. Dans la mesure où l’Iran est concerné, cette situation
renforcerait considérablement la position des USA et d’Israël et pourrait
rendre une guerre plus probable.
Depuis le début de
l’année, la carte géopolitique de la région a été redessinée de manière
significative. Les partis islamistes sont arrivés au pouvoir ou sont en train
d’y arriver au Maroc, en Tunisie et en Egypte, et il est fort probable qu’ils
fassent de même lorsque des élections seront organisées en Lybie. Entre ce que
les partis disent lorsqu’ils sont dans l’opposition, et ce qu’ils se sentent
obligés de faire une fois au pouvoir, il y a généralement une certaine
différence, et les partis islamistes ne font pas exception à la règle. Sur la
question sensible des relations avec Israël, Rachid Ghannouchi, le leader du
parti tunisien Ennahda, a eu des discussions tranquilles avec les Israéliens à
Washington et a indiqué que la Palestine ne serait pas une priorité pour le
nouveau gouvernement tunisien.
Des signaux assez vagues proviennent par contre des Frères
Musulmans en Egypte. D’après le ministère des Affaires Etrangères à Washington,
les Frères Musulmans ont donné des garanties qu’ils s’en tiendraient au Traité
de 1979 concernant Israël. Ceci fut presque immédiatement démenti par des
séniors emblématiques du mouvement, affirmant que le Traité ne pouvait être
considéré comme sacrosaint, et répétant qu’il est possible qu’un referendum
soit organisé afin que le peuple décide. Ce sera là l’un des thèmes les plus
brûlants pour le nouveau gouvernement égyptien, mais puisque ce dernier a
besoin des milliards de dollars promis par les USA, l’Arabie saoudite, le Qatar
et le F.M.I. , il est probable que le pragmatisme l’emporte, à court terme,
voir aussi longtemps qu’Israël lui-même ne met pas en péril le Traité avec une
nouvelle attaque sauvage contre Gaza ou le Liban.
Dans cet environnement qui change très vite, la Syrie reste
ferme, que ce soit contre les USA et Israël d’une part, ou contre la montée
croissante des islamistes/salafistes d’autre part. L’opposition pacifique fut
plongée dans la violence il y a bien longtemps, alors que l’armée continue à se
battre contre des « déserteurs » et des gangs armés dont les
médias nous disent toujours qu’ils ne sont qu’une invention de l’Etat. Les
médias occidentaux doivent encore interviewer les familles de milliers de
soldats et de civils tués par ces « rebelles » et autres « gangs
armés » pour voir ce que les Syriens pensent de ce qu’il se passe dans
leur pays. S’appuyant sur des accusations non vérifiées d’
« activistes » ou sur des sources suspectes hors de Syrie, les médias
ont joué un rôle crucial dans le développement d’un récit trompeur. La semaine
dernière, le Guardian s’est nouvellement livré à une bassesse avec l’accusation
d’un « activiste » syrien résidant à Londres comme quoi les forces de
sécurité syriennes remplissent de détenus des conteneurs qu’ils jettent ensuite
à la mer. Il n’y a aucune preuve que ça se soit passé, mais c’est la façon de
traiter l’information que le Guardian a préconisé pour « relater »
cette crise. Lorsque Damas a été la cible d’attentats à la bombe, la BBC et le
Guardian ont tous deux déclaré en toute hâte que ces attentats étaient l’œuvre
du gouvernement – selon des activistes. À nouveau, ils n’avaient aucune preuve
pour soutenir de telles accusations, faites au moment même où les Syriens
nettoyaient le sang dans les rues et ramassaient les morceaux de corps de
civils qui avaient été tués. Lorsque la Ligue Arabe a publié un rapport de
gestion intermédiaire sur le travail de ses inspecteurs en Syrie, celui-ci
appelait à la cessation de violences de la part du gouvernement et des gangs
armés. Sur sa page internet, la BBC a uniquement relayé qu’il appelait à une
cessation des violences de la part du gouvernement syrien.
L’Occident part à la chasse d’une nouvelle guerre au Moyen
Orient. C’est là l’essence de cette campagne contre la Syrie. Cette semaine [11
janvier 2012, ndlr], un autre scientifique nucléaire iranien a été assassiné.
L’intention très claire est de provoquer l’Iran pour qu’il riposte, fournissant
du même coup le prétexte pour une attaque armée que beaucoup en Israël et aux
USA souhaitent. Il n’y a aucun doute sur le fait que la Syrie a besoin d’une
réforme. Mais quiconque pense que les USA, la Grande Bretagne, la France,
l’Arabie saoudite et le Qatar mènent campagne contre la Syrie pour que cette
réforme ait lieu vit dans le monde des rêves. Chaque accusation sauvage faite
par des activistes et relayée par sens du devoir dans les médias est de l’eau
qui alimente leur moulin. Ces puissances ne veulent pas que la violence
cesse. Elles veulent que cela continue jusqu’à ce que le gouvernement
syrien tombe, et elles ont de quoi faire durer cela éternellement. Si les USA
et leurs alliés franchissent le pas et attaquent la Syrie ou l’Iran, il est
très probable qu’ils déclenchent une guerre régionale, puis selon certains, une
guerre globale. Dans leurs costumes gris et avec leurs cravates couleur
pastelle, ces hommes sont aussi fous que n’importe quel fasciste en uniforme
marron.
Par Jeremy Salt
Jeremy Salt enseigne l’histoire moderne du Moyen-Orient dans le département de science politique à l’Université Bilkent, à Ankara. Il a enseigné précédemment dans les universités d’Istanbul ( Bogazici, Bosphore) et de Melbourne. Ses publications incluent ” The Unmaking of the Middle East : a History of Western Disorder in Arab Lands” (University of California Press, 2008). Il a contribué à la rédaction de cet article sur PalestineChronicles.com .
Jeremy Salt enseigne l’histoire moderne du Moyen-Orient dans le département de science politique à l’Université Bilkent, à Ankara. Il a enseigné précédemment dans les universités d’Istanbul ( Bogazici, Bosphore) et de Melbourne. Ses publications incluent ” The Unmaking of the Middle East : a History of Western Disorder in Arab Lands” (University of California Press, 2008). Il a contribué à la rédaction de cet article sur PalestineChronicles.com .
Source originale : The
Palestine Chronicle
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